PORTRAIT Descendant d’esclave et fier de l’être | Mauriweb

PORTRAIT Descendant d’esclave et fier de l’être

jeu, 22/06/2017 - 01:41

A 65 ans, Ousmane Mangane, un ancien de chez Renault, est un homme d’affaires prospère. Il finance une association pour les gens de son rang, les Maccubés, esclaves du Fouta.

Avec lui, les barrières sociales explosent. Ousmane Mangane assume son statut de descendant d’esclave. Mieux, il en fait une arme qu’il manie à sa guise. Tantôt, c’est un levier pour éveiller les consciences, tantôt une ruse ou une raillerie contre une noblesse jugée « trop gonflée ». Confortablement assis sur une natte, les jambes croisées, dans sa vaste demeure de Ndouloumadji Démbé, dans le Fouta, au nord-est du Sénégal, il déclare : « Je suis né esclave et je ne m’en cache pas. La seule chose que je ne tolère pas, c’est qu’on me traite de vaurien car, pour moi, être descendant d’esclave n’empêche pas de s’enrichir et d’apprendre le Coran ».

Du haut de son 1,90 m, le teint noir, les gestes précis, Ousmane Mangane est un Maccudo (esclave) pas comme les autres. Propriétaire de plusieurs immeubles de rendement à Dakar, il est aussi éleveur et marchand de bétail incontournable dans le Fouta. « Je rends grâce à Dieu. Je ne demande rien à personne. Plusieurs de mes enfants sont à l’étranger, une de mes fille travaille au Crédit lyonnais à Paris », dit-il avec fierté.

Bien souvent, des personnes issues des castes nobles viennent auprès de lui solliciter de l’argent, des vivres ou des habits, souffle l’un de ses amis. « Je suis croyant et j’apporte mon soutien dans la mesure du possible », réagit l’homme à la voix rauque.

Nanti du Fouta

Sa fortune, Ousmane la doit à un voyage rocambolesque dans les années 1960. Du Fouta, il grimpe dans un bus pour Thiès. De là, il prend le train pour Bamako, au Mali. Puis un car pour le Burkina, un autre pour Agadez, au Niger, où il grimpe dans une jeep et traverse le Sahara en quatre jours. En Algérie, il saute dans un bus jusqu’à Tunis, puis prend l’avion pour Palerme, le train pour Rome et Paris. Quelques années plus tard, le voilà chez Renault, à l’usine de Flins, dans les Yvelines, où il termine chef d’équipe à sa retraite en 2002. « Chez Renault, j’ai rampé, passant de simple ouvrier à chef d’équipe malgré le fait que je ne suis jamais allé à l’école. J’avais une bonne maîtrise des robots, je n’enviais pas du tout les bac + 6 et j’avais la confiance des blancs ».

Ousmane se souvient comme si c’était hier des trois-huit où chaque équipe devait produire 444 véhicules par rotation. A son départ en retraite, dit-il, beaucoup ont pleuré. « J’ai compris que dans cette vie, à part ses parents et sa religion, il fallait aussi adorer son travail ». Trois semaines après sa retraite, il embarque ses quatre épouses et sa trentaine d’enfants, direction le Sénégal. Il est désormais l’une des fortunes du Fouta, grâce à sa pension de chez Renault et ses revenus immobiliers. Et pourtant, Ousmane Mangane s’acquitte souvent des tâches réservées aux esclaves. « Cela me permet de garder mon argent et de prendre celui des nobles », dit-il, sourire aux lèvres. Quelles sont ces tâches? C’est Saliou, un enseignant du village de Ndouloumadji, qui raconte : « Ousmane est futé, dit-il. Il n’hésite pas à se déshabiller lors des manifestations dans le village pour dépecer les animaux tués pour l’occasion. En contrepartie, il reçoit la tête et une bonne partie de la viande de l’animal ainsi que de l’argent qu’il amène chez lui ».

Changer le regard porté sur les Maccubés

Notre homme a bien connu le père de Macky Sall, le président sénégalais, accusé par l’ex-président Wade d’être un « descendant d’esclave ». Cette polémique l’agace, parce qu’elle part d’un mensonge : « Le père de Macky était un Ceedo (guerrier), propriétaire terrien, un homme fort, beau et courageux », dit Ousmane. Mais elle l’agace aussi parce qu’il a l’ambition de changer à la fois le regard porté sur les Maccubés (esclaves) et la mentalité des gens de son rang. « Pour moi, être esclave est un état d’esprit. Quand on ne veut rien faire, on est fainéant, on est esclave », dit-il.

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