Mauritanie: entretien avec l’expert Hassana Mbeirick suite à la création de l’Agence pour la Promotion des Investissements (APIM) | Mauriweb

Mauritanie: entretien avec l’expert Hassana Mbeirick suite à la création de l’Agence pour la Promotion des Investissements (APIM)

jeu, 31/12/2020 - 10:57

A l’annonce aujourd’hui de la création d’une Agence de Promotion des Investissements en Mauritanie (APIM), nous avons souhaité recueillir les premières réactions d’observateurs de la scène publique mauritanienne. C’est ainsi que nous avons contacté l’expert Hassana Mbeirick, très connu dans le secteur pétrolier et les cercles économiques du pays, pour un entretien dont nous vous livrons ci-après l’intégralité.

La Mauritanie vient de décider aujourd’hui en Conseil des Ministres de la création d’une agence de promotion des investissements dénommée APIM. Quelle première appréciation faites-vous d’une telle décision ?

L’initiative est à la fois louable et opportune.

Pourquoi opportune en ces temps de crise multiformes liée à la pandémie de la covid-19? N’est- ce pas là une façon de nager à contre-courant ?

Pas du tout. L’opportunité réside justement dans ce paradoxe apparent. Il est vrai que le flux des IDE était déjà au plus mal depuis 2019 et la covid-19 n’a fait qu’aggraver la situation. Mais quoi qu’il en soit, la relance économique ne se fera qu’avec les investissements étrangers directs qui sont une source de capital de premier ordre. Donc, c’est le moment de promouvoir son attractivité. Cependant à cet effet, il va falloir jouer à l’efficience dans cette démarche.

Pourquoi créer une agence de promotion des investissements alors qu’il existe déjà une Direction ministérielle en charge de la promotion des investissements ?

A mon avis, la promotion de l’attractivité économique et donc des investissements internationaux ne doit pas être exclusivement confiée à un service interne d’un ministère mais gagnerait davantage si elle est du ressort d’une structure dédiée ; comme partout dans le monde.

Etes-vous optimiste quant à la création de cette nouvelle agence de promotion des investissements ?

En plus d’être optimiste, je suis enthousiaste à l’idée de voir mon pays vouloir «prendre le taureau par les cornes».

Mais dans ce contexte où l’économie mondiale est aux prises avec une grave crise provoquée par la pandémie de COVID-19 dont les répercussions immédiates sur l’IDE seront considérables, qu’en dites-vous ?

J’ajouterai même qu’à plus long terme, les mesures prises en faveur de la résilience de la chaîne d’approvisionnement et d’une plus grande autonomie dans les capacités productives pourraient avoir des conséquences durables. Toutefois, la COVID-19 n’est pas le seul facteur de changement pour les IDE. La nouvelle révolution industrielle, la montée du nationalisme économique et les tendances en matière de durabilité auront toutes de vastes incidences sur la configuration de la production internationale dans les années à venir. L’évolution globale de la production internationale va dans le sens d’un raccourcissement des chaînes de valeur, d’une concentration accrue de la valeur ajoutée et d’une diminution des investissements internationaux dans les actifs productifs physiques.

Cela ne posera-t-il pas des problèmes immenses aux pays comme la Mauritanie ?

Les stratégies de développement et d’industrialisation des pays comme la Mauritanie a toujours reposé sur leur pouvoir d’attraction de l’IED, sur une participation croissante aux chaînes de valeur et une plus grande captation de la valeur ajoutée au sein de ces chaînes, et sur une modernisation technologique progressive dans les réseaux internationaux de production. Hélas, nous n’avons pas encore eu la chance de tirer profit de ces mécanismes.

Donc, c’est le bon moment pour créer une agence de promotion des investissements ?

C’est toujours un bon moment d’en créer une. Car, la transformation attendue de la production internationale ouvre aussi des perspectives en matière de développement, notamment sous la forme de la promotion d’investissements contribuant à la résilience, de la constitution de chaînes de valeur régionales et de la pénétration de nouveaux marchés rendue possible par les plateformes numériques. Pour saisir ces opportunités, il faudra néanmoins réorienter les stratégies de développement.

Pourtant, il y a déjà eu des précédents en Mauritanie?

En effet. Mais où est le résultat ? En 2010, j’ai participé à Shanghai au 1 er Forum de l’Investissement Chine-Mauritanie et en 2011, j’ai initié à Sao Paolo – au nom d’un pool d’opérateurs mauritaniens – des discussions avec la Chambre de Commerce Brésil-Arabe en vue d’explorer les opportunités d’investissements en Mauritanie. Dans les deux cas, de notables contacts ont été établis mais, hélas, sans suite. Cherchez la cause…

Plus loin dans le temps, j’ai eu à représenter – au début des années 2000 – notre secteur privé au sein du Programme Jitap II conduit conjointement par 03 agences d’exécution qui sont l’OMC, la CNUCED et le CCI. C’était un excellent programme d’Assistance Technique au Commerce afin de répondre à la plupart des besoins des pays bénéficiaires (dont la Mauritanie) en termes de renforcement des capacités liées au Système Commercial Multilatéral. Si aujourd’hui l’OMC a été sabordée au profit d’alliances régionales ainsi que d’une certaine résurgence du bilatéralisme, il n’empêche que la Mauritanie n’a pas su – à l’époque – tirer profit de cette expertise.

De plus, depuis 2004, la Mauritanie s’est ralliée au programme du Cadre Intégré Renforcé (CIR) qui vise à contribuer à la réduction de la pauvreté et à un développement durable par le financement et le développement des chaines de valeurs agricoles, entre autres. Quel bénéfice a tiré la Mauritanie du Cadre Intégré Renforcé (CIR) qui est dans sa seconde phase 2016-2022? Ce ne sont là que d’infimes exemples des opportunités que la Mauritanie a déjà eues pour s’arrimer à la locomotive du développement.

Cet échec passé n’était-il pas lié à une carence en matière de conformité légale et règlementaire propice aux investissements étrangers ?

Ce n’est sans doute pas le seul fait à incriminer. Cependant, la Mauritanie n’a jamais cessé d’améliorer son climat des affaires aidée en cela par ses partenaires institutionnels. A ce propos, le projet PACAE en est une illustration. Mais le problème réside encore dans la pratique que nous avons de faire les affaires.

C’est-à-dire ?

Je m’en tiens là. Mais je dirais seulement que la Mauritanie possède des potentialités immenses dont elle pourrait tirer profit si elles sont exploitées à bon escient. Que ce soit en termes de ressources naturelles, de positionnement géopolitique et de profil démographique.

Selon vous, quelles sont les tendances et les perspectives de l’investissement ?

Il est nécessaire de procéder à un certain rééquilibrage en faveur d’une croissance fondée sur la demande intérieure et régionale et de promouvoir l’investissement dans l’infrastructure et les services intérieurs. Les investissements dans les exportations qui visent à exploiter les facteurs de production, les ressources et la main-d’œuvre resteront importants. Mais les ressources destinées aux investissements de ce type s’amoindrissent et les premières marches de l’échelle du développement risquent d’être beaucoup plus difficiles à monter.

Comment la Mauritanie envisage-t-elle de capter au maximum les flux des IDE dans la période post-covid ?

Je n’en ai aucune idée. Toutefois, il faut savoir que les grandes quantités de capitaux institutionnels à la recherche d’investissements dans les marchés mondiaux ne vont pas vers des projets d’investissement dans le secteur manufacturier, mais vers des projets créateurs de valeur dans les infrastructures, l’énergie renouvelable, l’eau et l’assainissement, l’alimentation et l’agriculture, ainsi que la santé.

Pensez-vous que cette nouvelle agence de promotion des investissements pourra jouer le rôle- clé qui lui est dévolu ?

Je l’espère sincèrement mais les prévisions sont très incertaines. L’évolution des IDE dépendra de la durée de la crise mondiale et de l’efficacité des mesures prises pour atténuer les répercussions économiques de la pandémie. Les risques géopolitiques et financiers, de même que la persistance des tensions commerciales, ajoutent à l’incertitude.

Un certain pessimisme transparait dans vos propos, quid de la Mauritanie ?

Il ne faut pas confondre pessimisme et réalisme. Une chose est certaine : pour les IDE, la pandémie est un choc sur les plans de l’offre, de la demande et des politiques. Les mesures de confinement ralentissent l’exécution des projets d’investissement en cours. La perspective d’une profonde récession mondiale amènera les entreprises multinationales à réévaluer leurs nouveaux projets. Le cas du projet pétro-gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) de BP en est une illustration. En outre, au nombre des mesures prises pendant la crise, figurent de nouvelles restrictions à l’investissement. Selon les experts, les flux d’investissement repartiront lentement à la hausse à partir de 2022, sous l’effet de la restructuration des chaînes de valeur mondiales en faveur d’une plus grande résilience, de la reconstitution du stock de capital et du redressement de l’économie mondiale.

Vous venez de citer le projet GTA de BP à cheval entre la Mauritanie et le Sénégal. Est-ce à dire qu’il va encore accuser du retard dans son exécution?

A priori non pour ce qui est de sa première phase. Mais pour sa seconde et troisième phase, il y aura probablement un décalage dans le temps. Mais ce que je voulais dire c’est que les pays comme la Mauritanie devraient connaître la plus forte baisse de l’IED, non seulement parce qu’ils dépendent davantage des investissements dans les industries extractives et les secteurs fortement tributaires des chaînes de valeur mondiales, mais aussi parce qu’ils ne sont pas en mesure de mettre en place les mêmes mesures de soutien économique que les pays développés.

Assistons-nous donc à une évolution des politiques d’investissement ?

Absolument. Les politiques d’investissement sont une composante importante de la lutte contre la pandémie. Plusieurs groupements multilatéraux, y compris le G20, ont publié des déclarations en faveur de l’investissement international. Parmi les mesures de soutien adoptées figurent la facilitation en ligne de l’investissement, les services des organismes de promotion de l’investissement ayant trait à la pandémie et les nouvelles incitations à l’investissement dans la santé. D’autres mesures ont été prises notamment pour obliger les entreprises privées à réorienter leur production, interdire les exportations de matériel médical et réduire les importations d’appareils médicaux.

A vous entendre, on dirait que le timing de la décision de la Mauritanie de créer aujourd’hui cette agence n’est pas fortuit ?

Cette décision est tout sauf fortuite, par une simple observation des perspectives de développement déjà entreprises par l’actuel gouvernement. Le signal en a déjà été donné avec la création en février 2020 d’un Conseil Supérieur de l’Investissement. C’est ce qu’on appelle populairement avoir de la suite dans les idées.

Un dernier mot ?

Je soutiens vivement cette nouvelle agence à laquelle je souhaite plein succès. Et je suis certain qu’elle bénéficiera du soutien de la communauté internationale au grand bénéfice du peuple mauritanien.

 

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