Les artisans de la ville d’Aleg, chef-lieu de la région du Brakna située au centre de la Mauritanie, font face à des aléas extrêmement difficiles à cause des marchandises chinoises qui ne cessent d’envahir le marché local à des prix imbattables. Ce phénomène trouve son explication dans le fait que le produit artisanal traditionnel se fait de plus en plus coûteux et que, désormais, les citadins recherchent avec frénésie les produits d’importation pour « suivre la mode et la modernité et fuir le sous-développement et la vie nomade ».
L’artisanat qui fut, à des taux considérables, le premier pourvoyeur du marché local, n’y a plus aujourd’hui la moindre place. Il est devenu un objet qu’on expose dans les grands festivals culturels pour témoigner d’un patrimoine qui ne se retrouve plus que dans des contrées lointaines qui, coupées du reste du pays faute de moyens de transport, n’ont pas encore connu la modernité ni la mondialisation.
Mohamed Ouelt Khiloul est un artisan traditionnel qui presse le pas vers sa septième décennie. Il vit dans une maison délabrée obtenue de la part d’un homme politique local qui, au commencement du feuilleton démocratique mauritanien à l’aube des années quatre-vingt-dix, en avait distribué à tous les artisans en échange de leurs voix. Mohamed affirme que l’artisanat en tant que métier n’existe plus car il a toujours été l’apanage d’un groupe social bien déterminé qui se transmettait ce savoir-faire de père en fils.
Ouelt Khiloul explique encore que cette réalité difficile, l’engouement des gens pour la mode et pour les produits d’importation, ainsi que l’absence de tout soutien et de tout appui officiels ont rendu absurde toute tentative de concurrencer les produits chinois qui ont progressivement décimé les produits locaux dont les ventes ne portent plus que certains ustensiles traditionnels tels que les « Kedhane Yatt » ou les « Recha » et les « Dalw » qui sont des récipients servant à extraire l’eau des puits, les « Bit » et les « Âdham », sorte de pipes à fumer ou encore certains ustensiles particulièrement prisés pour la cuisson et la conservation du lait de vache comme les « Tadit » ou les « Forn » et les « Touletlaten ».
Or, les prix de vente de tous ces produits ne suffisent plus pour garantir aux familles une vie décente, ce qui pousse les jeunes à fuir ces métiers et à poursuivre leurs études dans l’espoir de trouver d’autres professions ou d’être recrutés dans la fonction publique.
Salem Oulet « TLDY », autre artisan de produits traditionnels, affirme quant à lui que la profession n’est plus exercée que par des personnes âgées. Cela s’explique selon lui par plusieurs raisons dont principalement l’absence de toute aide officielle, la hausse du coût de production, et, surtout, l’attitude dédaigneuse de la société envers l’artisan traditionnel à qui l’on refuse par exemple de marier sa fille et au sujet de qui se disent encore des proverbes tels que « Rien de bon n’est à espérer d’un forgeron, fût-il savant », « Plus menteur que Moalla, le faiseur d’oreillers ». C’est ce qui, selon l’artisan, pousse les jeunes à fuir l’enfer des préjugés sociaux en cherchant d’autres métiers.
Salem assure qu’autrefois, il avait besoin de l’aide de tous les membres de sa famille pour pouvoir satisfaire à temps toute la demande de sa clientèle. Car la concurrence entre les artisans se fondait sur des critères relatifs à la rapidité des délais de livraison, à la qualité du travail effectué et à la disponibilité de stocks riches et variés des ustensiles les plus recherchés par les clients. Mais aujourd’hui, il tient seul le commerce, et il peut même passer une journée entière sans qu'un seul client ne franchisse le seuil de sa boutique. De plus, il ne travaille plus désormais que sur commande.
Salem conclut en ajoutant que Rallye Dakar représentait autrefois une bouffée d’oxygène pour l’industrie artisanale, dans la mesure où touristes et commerçants recherchaient beaucoup les produits de fabrication traditionnelle. Mais, explique-t-il, depuis les attentats terroristes qui, voici quelques années, ont fait de nombreuses victimes parmi les touristes occidentaux, le Rallye ne passe plus par les territoires mauritaniens, ce qui représente un véritable coup de massue pour le commerce de l’artisanat dans le pays.
Les habitants de la ville, eux, expliquent leur réticence à l’égard du produit local par ses prix exorbitants principalement. En effet, certains ustensiles se vendent par les artisans à 4000 ouguiyas alors qu’un ustensile identique de fabrication chinoise se vend à seulement 700 ouguiyas. De même, un tapis traditionnel de trois mètres de long coûte 8000 ouguiyas chez les artisans, alors qu’on peut l’avoir chez les commerçants qui vendent les marchandises chinoises à 3500 ouguiyas. Par ailleurs, les diplômés des instituts de formation professionnelle sont désormais capables de faire de belles répliques à des prix abordables qui conviennent au pouvoir d’achat du citoyen.
La Délégation Régionale de la Culture et de l’Artisanat affirme pour sa part qu’elle est prête à faire en sorte que l’industrie traditionnelle retrouve l’importance qui lui est due, si les artisans parviennent toutefois à s’organiser entre eux dans des associations, coentreprises et syndicats, ce qui faciliterait la tâche au gouvernement. Par ailleurs, assure-t-on, beaucoup d’argent est dépensé chaque année pour encourager la production artisanale, en lui réservant régulièrement de grandes expositions lors du festival des villes historiques.
Les données actuelles montrent que la situation économique de l’industrie traditionnelle demeure meilleure dans les régions isolées où les habitants en ont toujours besoin. Mais il est certain que dans la ville d’Aleg, elle se trouve en voie d’extinction, tant qu’aucune initiative bienveillante n’est prise pour sauver ce secteur d’une perdition certaine. Cela ne se fera pas, selon de nombreux observateurs, sans que soient interdites les marchandises d’importations destinées à supplanter le produit local ou, du moins, sans que les taxes douanières qu’elles subissent ne soient révisées à la hausse.
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