
Monsieur Cherfaoui,
Dans votre billet publié par Le Matin d’Algérie, vous avez pris soin de transformer une séquence diplomatique somme toute banale en une fresque grandiloquente sur la soumission postcoloniale, prenant pour cible le président mauritanien comme s’il incarnait à lui seul l’humiliation de tout un continent.
Ce que vous qualifiez de "murmure mal assuré" n’est que la lecture hautaine d’un regard biaisé, confortablement assis dans l’ombre d’un ressentiment mal digéré. Vous reprochez au président Ghazouani de ne pas avoir répondu à l’humiliation par un coup de poing sur la table, comme si la diplomatie se menait à coups de répliques viriles et de déclarations tonitruantes pour plaire à des éditorialistes en quête de symboles faciles.
Mais voyons plus loin que l’écume des gestes. Contrairement à ce que vous insinuez, le président de la République islamique de Mauritanie n’a pas été convoqué, mais invité, à une rencontre stratégique sur les ressources africaines, la sécurité et la souveraineté économique. Ce n’était ni un Conseil de discipline ni une pièce de théâtre postcoloniale. Ce n’est pas parce que la scène ne vous plaît pas qu’elle doit être ravalée au rang de pantomime coloniale.
Vous instrumentalisez une formule abrupte de Donald Trump pour asséner une leçon de dignité à un chef d’État africain. Mais au fond, que cherchez-vous ? Vous auriez sans doute préféré qu’il s’indigne, qu’il claque la porte, qu’il dénonce l’"ordre impérial" pour apaiser votre propre malaise identitaire vis-à-vis de l’Occident. C’est là toute la limite de votre lecture : elle n’est pas panafricaine, elle est paternaliste. Vous projetez sur nos silences ce que vous n’osez affronter dans vos propres relations internationales.
Et puis, soyons sérieux, quelle leçon la diplomatie algérienne a-t-elle à donner à celle de la Mauritanie en matière d’égalité, de fermeté ou de stratégie dans ses relations avec les grandes puissances ? Où était donc cette flamboyance algérienne lorsqu’en pleine campagne présidentielle, le chef de l’État Abdelmadjid Tebboune promettait avec emphase, lors d’un meeting à Constantine, d’envoyer l’armée algérienne à Gaza "si l’Égypte ouvrait ses frontières" ? Une déclaration virale, ponctuée de promesses de "construire trois hôpitaux en vingt jours", mais suspendue au bon vouloir du voisin égyptien, révélant l’impuissance réelle derrière la posture martiale. Et que dire de son boycott du sommet extraordinaire de la Ligue arabe sur Gaza, le 4 mars au Caire, frustré que l’Algérie n’a pas été conviée à la réunion préparatoire à Riyad ? Voilà une diplomatie qui s’indigne avec fracas… mais se retire en silence quand elle n’est pas invitée. Une souveraineté bruyante, oui, mais trop souvent contournée dans les lieux où se décide l’avenir du monde arabe. Où était en ces moments-là le sarcasme à l’emporte-pièce de Mohamed Cherfaoui ?
L’Afrique n’a pas besoin de donneurs de leçons moralisateurs qui transforment chaque maladresse ou protocole raccourci en procès pour trahison du continent. L’Afrique a besoin de solidarité, de lucidité et d’efficacité. Et cela passe parfois par le silence stratégique, par la retenue calculée, par le refus de transformer chaque affront en théâtre pour tribune journalistique.
Ghazouani n’a pas répondu ? Peut-être parce qu’il a jugé que la Mauritanie ne mérite pas que son honneur soit jeté en pâture à la galerie. Peut-être parce qu’il a compris, dans une sagesse toute sahélienne, (chez nous, on dirait, Deymanienne*) que l’instant médiatique ne vaut pas toujours la hauteur des enjeux géopolitiques.
Alors de grâce, ne prétendez pas parler au nom d’un continent quand vous ne faites qu’exorciser vos propres obsessions tout en projetant vos frustrations mal digérées.
Laissez l’Afrique hors de vos règlements de comptes personnels avec l’Histoire — ce n’est pas un continent qu’on instrumentalise au gré de vos blessures idéologiques. Il ne suffit pas de s’indigner avec emphase pour incarner une conscience africaine. Encore faut-il ne pas confondre journalisme et exorcisme.
Ce que vous prenez pour un silence honteux est peut-être simplement un refus de jouer votre pièce. La Mauritanie, elle, poursuit son chemin, dignement, sans fracas ni fureur. Mais comme on dit chez, et je pense aussi chez vous :
اللي ما يعرفك يخسرك."
(lli ma yʿarfek ykhesrek)
"Celui qui ne te connaît pas te perd."
Un journaliste mauritanien