
C’est une opération d’une ampleur rare, presque digne d’un polar, que vient de réaliser la gendarmerie nationale. Dans la nuit du 2 au 3 mai, plusieurs équipes ont simultanément investi des entrepôts clandestins disséminés dans les quartiers populaires de Nouakchott, mettant fin à l'activité d'un vaste réseau de contrebande de médicaments illicites. Parmi les saisies : des pilules hallucinogènes, des aphrodisiaques interdits et des substances neurotoxiques extrêmement dangereuses.
Des stocks dissimulés en plein cœur de la capitale
Cela faisait des semaines que les gendarmes traquaient discrètement les membres du réseau. Appuyés par des renseignements venus d’Algérie, ils ont fini par localiser plusieurs « caches » dans les quartiers d’Arafat, Dar Naim et Sebkha. À l’intérieur : près de 900 cartons remplis de produits pharmaceutiques stockés dans des conditions déplorables. Prégabaline 300 mg, aphrodisiaques Devil 50/100, métronidazole… autant de substances détournées de leur usage médical, stockées parfois à côté de denrées alimentaires.
Une affaire déclenchée pendant le Ramadan
Tout aurait commencé par l’interception fin avril d’un camion suspect en provenance d’Algérie. Ce dernier, censé transiter vers la Libye, transportait une cargaison douteuse. L’alerte est donnée. En quelques jours, les enquêteurs établissent les premières connexions. Les premières descentes sont menées début mai, révélant la dimension transnationale du trafic.
Un réseau bien huilé, solidement implanté
« Ce n’était pas une simple bande de trafiquants, mais une véritable organisation structurée », confie le capitaine Mohamed El Hafedh Mahmoud, chargé de communication de la gendarmerie. Les interpellations ont rapidement grimpé, passant de 14 à 25 personnes. Parmi elles : des revendeurs, des grossistes, mais aussi un ressortissant indien. Le réseau utilisait les routes du Sahel pour faire circuler ses cargaisons entre l’Algérie, la Libye, le Mali, et jusqu’au Maroc.
Quand l'argent sale tente d’acheter le silence
Fait sidérant : les membres du réseau auraient tenté de corrompre les gendarmes avec un pot-de-vin de un milliard d’ouguiyas. Une somme astronomique que les autorités ont fermement refusée, préférant exposer l’étendue du danger plutôt que de céder à la facilité.
Un poison qui se répandait à ciel ouvert
Derrière cette affaire, c’est toute une filière de médicaments contrefaits ou détournés qui est mise à nu. La prégabaline, utilisée comme antalgique mais recherchée pour ses effets psychotropes, est devenue une drogue dure déguisée. Mauvais dosage, absence de contrôle, ventes au noir : les risques pour la santé publique sont immenses. Ces produits faisaient l’objet d’une revente illégale en Mauritanie, puis étaient réexportés dans les pays voisins.
Une épidémie silencieuse en Afrique de l’Ouest
Le phénomène n’est pas propre à la Mauritanie. En mars 2024, en Grèce, près de 3,75 millions de gélules de prégabaline ont été saisies. En France et au Royaume-Uni, la molécule est désormais classée comme substance contrôlée. En Irlande, on l'appelle sinistrement les "coffin tablets" — les comprimés cercueil.
Que faire face à ce fléau ?
Les autorités mauritaniennes parlent déjà d’un possible durcissement des textes encadrant l’importation et la distribution de produits pharmaceutiques. Des contrôles plus stricts, mais aussi des campagnes de sensibilisation, devraient suivre pour alerter la population sur les dangers liés à l’usage détourné de certains médicaments.
Un signal d’alarme pour la région
L’opération menée début mai n’est probablement que la première d’une série. Mais elle a permis de lever le voile sur une véritable bombe sanitaire. Ce trafic, aussi lucratif que meurtrier, n’est pas qu’un enjeu sécuritaire : il est devenu un problème de santé publique majeur que les pays du Sahel ne peuvent plus ignorer.