Campagne agricole d’hiver : promesses en réunion, pénuries dans les marchés   | Mauriweb

  Campagne agricole d’hiver : promesses en réunion, pénuries dans les marchés  

mar, 26/08/2025 - 11:53

Encore une fois, la scène se répète : une grande réunion organisée dans les locaux du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, des discours rassurants, et des promesses recyclées de soutien aux producteurs. Mais sur le terrain, la réalité est tout autre : déficits chroniques, structures défaillantes, corruption rampante et désespoir grandissant des agriculteurs, qui voient leurs efforts étouffés avant même que les semences ne germent.

Le ministre de l’Agriculture, M. Mommé Ould Beibatta, a vanté les « succès » des campagnes précédentes et rappelé l’importance que l’État accorde au secteur maraîcher. Pourtant, l’indicateur brandi lui-même – un taux d’autosuffisance en légumes oscillant entre 35 et 40 % – sonne comme un aveu d’échec. Car, dans les faits, plus de la moitié des besoins du pays en légumes continue d’être importée du Maroc, du Sénégal ou encore d’Espagne.

Dans les marchés de Nouakchott, les prix parlent d’eux-mêmes : la tomate locale, censée être disponible en abondance lors de la précédente campagne, était vendue à plus de 200 MRU/kg, alors que la tomate importée du Maroc, plus régulière en qualité, tournait autour de 250 MRU/kg. De même, la pomme de terre produite localement ne couvrait même pas 15 % des besoins du marché, obligeant à importer plus de 30 000 tonnes en 2024.

Une dépendance entretenue

Malgré les milliards injectés dans des programmes dits de « soutien », le maraîchage mauritanien reste prisonnier des mêmes maux :

  1. Accès limité aux intrants agricoles : Les semences dites « améliorées » arrivent souvent en retard, et leur distribution souffre de détournements, obligeant de nombreux producteurs à s’approvisionner à prix fort à l’étranger.
  2. Équipements hors de portée : Malgré les annonces sur les « facilités douanières », les petits exploitants n’ont ni les moyens financiers ni l’appui logistique pour acquérir du matériel moderne.
  3. Stockage et commercialisation précaires : Les promesses d’entrepôts frigorifiques se multiplient depuis dix ans. Pourtant, plus de 25 % des légumes récoltés se perdent chaque saison, faute de moyens de conservation adaptés.

Le grand écart entre discours et réalité

Lors de la réunion, le président de l’Union nationale du patronat, Mohamed Zein El Abidine Ould Cheikh Ahmed, a évoqué des capacités de stockage de 13 000 tonnes et a présenté la campagne à venir comme « exceptionnelle ». Mais derrière ce discours optimiste, la réalité est beaucoup plus sombre : les producteurs présents à la réunion ont rappelé, non sans amertume, les retards dans la distribution des intrants, les lenteurs administratives, et surtout l’absence d’un véritable accompagnement technique et financier adapté à leurs besoins.

Une agriculture prisonnière d’une gouvernance défaillante

Le gouvernement présente la campagne hivernale comme une solution miracle à l’insécurité alimentaire. Pourtant, sans réforme structurelle, ces campagnes saisonnières ne sont qu’un emplâtre sur une plaie profonde :

  • Dépendance aux importations : en 2024, la Mauritanie a importé plus de 90 000 tonnes de légumes pour combler son déficit, un chiffre en hausse par rapport à 2022.
  • Absence de stratégie durable : aucun plan clair n’existe pour affronter la raréfaction de l’eau, la salinisation des sols et le changement climatique.
  • Instrumentalisation politique du secteur : chaque campagne agricole devient une vitrine de communication politique, plutôt qu’un levier concret pour atteindre la souveraineté alimentaire.

La « campagne agricole hivernale » de 2025 s’annonce donc sous les mêmes auspices que les précédentes : un défilé de promesses et de chiffres flatteurs, pendant que les producteurs restent prisonniers d’un système incapable de transformer les slogans en politiques publiques efficaces. Tant que l’agriculture restera gérée comme une scène de propagande politique, et non comme un chantier stratégique de souveraineté et de développement, la Mauritanie continuera d’importer ses légumes… et de nourrir ses illusions.