
À l’occasion du quatrième Examen périodique universel (EPU) de la Mauritanie devant le Conseil des droits de l’homme des Nations unies, MENA Rights Group et l’Alliance des Orphelins Mauritaniens ont soumis un rapport détaillé pointant trois axes majeurs de préoccupations : les restrictions persistantes à la liberté d’expression, l’absence de justice pour les crimes du « Passif humanitaire » et les dérives du cadre juridique antiterroriste.
Un document dense, qui met en lumière les limites persistantes du pays en matière de protection des droits fondamentaux.
Une liberté d’expression encore sous étroite surveillance
Bien que Nouakchott ait accepté certaines recommandations lors du précédent cycle de l’EPU, les organisations estiment que la liberté d’opinion et d’expression reste sévèrement encadrée par un arsenal juridique « vague et excessif ».
Plusieurs lois — sur la discrimination, la cybercriminalité, la presse ou encore la lutte contre le terrorisme — contiennent des formulations jugées suffisamment ambiguës pour permettre des interprétations extensives par les autorités.
Parmi les principales préoccupations : la loi de 2020 contre les « fausses informations », adoptée en pleine crise sanitaire, criminalise la diffusion de contenus jugés « fallacieux » ou « susceptibles de fausser le scrutin », sans définition précise ; une loi controversée sur la « protection des symboles nationaux », votée en 2021, punit de peines allant jusqu’à quatre ans de prison les atteintes perçues contre l’islam, l’unité nationale, les forces armées ou le Président ; l’article 306 du Code pénal, amendé en 2018, maintient la peine de mort obligatoire pour les faits qualifiés de blasphème ou d’apostasie ; plusieurs coupures d’Internet mobile ont été décidées par le gouvernement, en particulier durant 22 jours après l’élection présidentielle de juillet 2024.
En mars 2022, l’annulation du concert du groupe de rap Diam Min Tekky, dont l’album évoquait le massacre d’Inal, illustre également les restrictions persistantes sur les sujets sensibles.
Les organisations recommandent notamment la réforme du Code pénal, la révision des infractions mal définies et le maintien de l’accès à Internet en toutes circonstances électorales ou académiques.
Le « Passif humanitaire » : un dossier qui continue de hanter la Mauritanie
Le rapport consacre une large section au « Passif humanitaire », cette période de graves violations commises contre les communautés afro-mauritaniennes entre 1989 et 1992 : arrestations arbitraires, expulsions, tortures, exécutions sommaires — dont les pendaisons d’Inal, dans la nuit du 27 au 28 novembre 1990.
Au cœur de l’impasse actuelle : la loi d’amnistie de 1993, qui protège de poursuites tous les membres des forces de sécurité impliqués dans des crimes commis durant cette période.
Les ONG relèvent que :
- plusieurs responsables présumés de violations graves occupent encore des fonctions publiques élevées,
- aucune commission de vérité indépendante n’a été instituée,
- le Comité des disparitions forcées de l’ONU a récemment exprimé son inquiétude quant au maintien de l’impunité.
Le rapport appelle une nouvelle fois à abroger la loi d’amnistie de 1993 et à créer une Commission vérité et réconciliation capable d’établir les faits et de garantir les droits des victimes.
Une législation antiterroriste jugée opaque et liberticide
Dernier axe majeur : le cadre légal de lutte contre le terrorisme, notamment l’article 3 de la loi 2010-035, dont la définition du terrorisme inclut des notions aussi larges que la volonté de « pervertir les valeurs fondamentales de la société ».
Les ONG dénoncent : une garde à vue pouvant atteindre 45 jours pour les personnes accusées de terrorisme, sans présentation devant un juge ; l’absence d’accès à un avocat en début de procédure ; le risque élevé de torture et de mauvais traitements, relevé à plusieurs reprises par les mécanismes onusiens.
Là encore, les organisations appellent à amender la loi pour la conformer strictement aux normes internationales et garantir les droits des personnes privées de liberté.
Un rapport qui remet la pression sur Nouakchott
La présentation de ce rapport intervient dans un contexte politique délicat pour la Mauritanie, marquée par des débats récurrents sur l’impunité, des tensions autour de l'accès à l'information et un espace civique jugé fragile par plusieurs observateurs internationaux.
Si le gouvernement affirme depuis plusieurs années réaliser des « progrès notables » dans les domaines judiciaire et sécuritaire, les ONG estiment que des réformes profondes restent indispensables pour aligner la Mauritanie sur les standards internationaux.
Le Conseil des droits de l’homme examinera la position officielle de Nouakchott dans les prochains mois, après quoi les recommandations finales de l’EPU seront publiées.

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