Le retour d’un paludisme meurtrier | Mauriweb

Le retour d’un paludisme meurtrier

mar, 26/04/2016 - 15:45

La réduction considérable du nombre de décès liés au paludisme depuis le début du siècle constitue l’une des plus grandes réussites des dernières années en matière de santé publique. Grâce à la mobilisation concertée d’investissements en faveur de la prévention, du diagnostic et du traitement, le nombre de personnes mourant chaque année de cette maladie a diminué de 60 % depuis l’an 2000, ce qui représente plus de six millions de vies humaines sauvées.

 

Mais alors même que le rêve d’une éradication du paludisme s’approche peu à peu de la réalité, une résistance de plus en plus forte aux médicaments vient menacer ces avancées remarquables. Une forme résistante à l’artémisinine, le plus efficace des médicaments contre le paludisme, est en effet apparue au Cambodge, et se propage actuellement dans la région du delta du Mékong.

 

Sans une réponse rapide et efficace, cette nouvelle forme résistante de paludisme risque de se généraliser – phénomène déjà observé à deux reprises concernant d’autres médicaments contre le paludisme. Gouvernements, organisations internationales, groupes de la société civile et entreprises doivent prendre des mesures d’urgence afin de prévenir la survenance d’une épidémie de paludisme résistant, et d’empêcher qu’un épisode douloureux se reproduise.

 

Afin de retarder la propagation de cette forme résistante, suffisamment longtemps pour permettre le déploiement de nouveaux médicaments, il est nécessaire et urgent de relever un défi à court terme : empêcher cette forme résistante de s’installer en Asie du Sud et du Sud-Est, afin qu’elle ne puisse se propager à d’autres régions. Car au vu des expériences passées, cette forme résistante à l’artémisinine pourrait tout à fait s’étendre à l’Inde pour ensuite gagner l’Afrique sub-saharienne et le reste du monde, mettant en péril plusieurs millions de vie humaine, et plusieurs décennies de progrès.

 

Dans les années 1950, une forme résistante à un autre médicament, la chloroquine, était apparue du côté de la frontière thaïlando-cambodgienne. Un épisode similaire s’était produit dans les années 1970 concernant la sulfadoxine-pyriméthamine (SP). Depuis l’Asie du Sud-Est, une forme résistante à la chloroquine et à la SP s’était propagée à l’Inde, puis à l’Afrique et à une grande partie du reste du monde. Plusieurs millions de personnes avaient succombé à la maladie, pour la plupart de jeunes enfants d’Afrique.

 

Les conséquences d’une résistance généralisée à l’artémisinine pourraient se révéler tout aussi dévastatrices. Les estimations même les plus modérées font apparaître un tableau bien sombre. Une étude a estimé que la propagation de cette forme résistante pourrait entraîner plus de 116 000 décès supplémentaires chaque année, et près de 417 millions $ de coûts médicaux et pertes de productivité connexes – au-delà des 12 milliards $ que coûtent d’ores et déjà chaque année à l’Afrique sub-saharienne les pertes de productivité liées au paludisme.

 

Bien qu’elle suscite l’inquiétude au niveau mondial depuis huit ans déjà, cette forme résistante à l’artémisinine n’est toujours pas maîtrisée. Bien au contraire, elle a désormais été détectée au   Cambodge, au Vietnam, au Laos, en Thaïlande, en Birmanie, ainsi qu’à la frontière orientale de l’Inde.

 

Une augmentation fort utile du soutien des donateurs a été observée, notamment à travers l’Initiative régionale contre la résistance à l’artémisinine, financée par un octroi de 100 millions $ émanant du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Malheureusement, la lenteur du renforcement des interventions traditionnelles de contrôle ne permet pas de prendre de vitesse la propagation de cette résistance.

 

Si nous entendons éradiquer le paludisme, il va nous falloir former un front mondial uni dans la lutte contre les facteurs de cette résistance. Outre les efforts de maîtrise de la résistance à l’artémisinine dans le bassin du Mékong, une action est nécessaire bien au-delà de cette sous-région. D’après l’Organisation mondiale de la santé, au mois de novembre 2015, les autorités sanitaires nationales de six pays africains, ainsi que de la Colombie, n’avaient toujours pas révoqué les autorisations de mise sur le marché relatives aux  monothérapies à base d'artémisinine par voie orale – un important facteur de résistance.

 

De plus solides engagements de la part du secteur privé seront également nécessaires. Au mois de décembre 2015, pas moins de 21 sociétés de fabrication de médicaments contactées par l’OMS n’avaient toujours pas consenti à stopper la production de monothérapies à base d’artémisinine par voie orale. Plus de deux tiers de ces sociétés se situent en Asie.

 

Il incombe également aux sociétés de recherche pharmaceutique d’investir dans des médicaments antipaludiques de nouvelle génération. En effet, bien que de nombreux traitements à base d’artémisinine demeurent efficaces, ces traitements devront tôt ou tard être remplacés – sans quoi ils pourraient devenir une partie du problème.

 

C’est dans ce but précis que l’Institut Novartis de lutte contre les maladies tropicales conduit la création d’un consortium de recherche, au travers d’un partenariat public-privé auprès du Conseil pour le développement économique de Singapour. Cette démarche a d’ores et déjà ouvert la voie à deux nouveaux candidats médicaments antipaludiques, qui font actuellement l’objet d’essais cliniques de phase 2 – ces nouvelles catégories de composés traitant le paludisme de manière différente des thérapies existantes, et ayant par conséquent le potentiel de combattre l’apparition d’une résistance aux médicaments.

 

Plus largement, un certain nombre de partenariats de développement, tels que l’initiative Drugs for Neglected Diseases ou encore Medicines for Malaria Venture, rassemblent des experts ainsi que des acteurs pharmaceutiques et financiers afin que puissent émerger de nouveaux traitements potentiels contre les maladies négligées. De telles collaborations permettent à ces composés prometteurs de traverser un long et coûteux processus de développement et d’approbation.

 

Deux autres composés antipaludiques au stade d’essais cliniques de phase 2 sont actuellement en cours de développement, grâce au soutien de Medicines for Malaria Venture – le premier étant développé par Takeda Pharmaceuticals et les Instituts nationaux de santé aux États-Unis, et le second par la société pharmaceutique française Sanofi.

 

Bien que nous ayons remporté de nombreuses batailles contre le paludisme, plusieurs signaux d’avertissement familiers mettent en lumière le risque que nous perdions la guerre. La propagation d’une forme résistante à l’artémisinine aujourd’hui en Asie constitue une menace pour l’existence des enfants africains de demain. C’est pourquoi nous devons agir de manière efficace afin d’empêcher la propagation de cette résistance, notamment au travers d’investissements urgents en faveur de traitements antipaludiques de nouvelle génération. Car si nous échouons à tenir compte de ce que nous enseigne le passé en matière de paludisme, nous pourrions bien être condamnés à revivre un tel passé.

 

Par Thierry Diagana et Nick White

 

 

Traduit de l’anglais par Martin Morel

 

Thierry Diagana dirige à Singapour l’Institut Novartis de lutte contre les maladies tropicales. Nick White est professeur en médecine tropicale au sein de l’Unité de recherche en médecine tropicale d'Oxford-Mahidol, à Bangkok.

 

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