Chighalides : Vol de « petits » ou vol de « grands », un vol est un vol | Mauriweb

Chighalides : Vol de « petits » ou vol de « grands », un vol est un vol

ven, 17/06/2022 - 13:06

Le Calame - Ils sont onze. Ou plus exactement ils ne sont plus que onze, anciens Premiers ministres, ministres, directeurs d’établissements publics, quelques particuliers et deux prête-noms. Ils ont été entraînés par Mohamed Ould Abdel Aziz, l’ancien chef de l’État dans un sillage qui peut être qualifié, en termes judiciaires, de « Casse du siècle ».

Comme l’a dit notre confrère du Calame Ahmed Ould Cheikh, c’est un véritable casse. Ce casse a été commis dans un pays très pauvre dont les mendiants se bousculent aux feux rouges des carrefours d’une capitale où, non loin, des responsables et quelques petits délinquants nés de profits en tous genres ont amassé des fortunes colossales durant un pouvoir qui s’était bâti sur le saignement à flots de notre économie et de nos finances.

C’est un scandale énorme. Du jamais vu, ni ici en Mauritanie, ni même en Angola, pays dont la similitude du cas est identique.

La Mauritanie, pays de quatre millions d’habitants, est le seul pays au monde où le vol est un phénomène tellement répandu et sous toutes formes qu’il est devenu légalisé. Dans ce pays où pratiquement tout est permis, certains volent à longueur de journée sans être inquiétés, parce que, simplement, ils sont assurés d’être maintenus dans leurs fonctions.

D’autres volent rien que pour être « sanctionnés » par une nouvelle promotion qui les désignera à un autre poste de responsabilité plus propice au vol.

C’est pourquoi, depuis le renversement du régime d’Ould Daddah en 1978, le vol et le détournement des deniers publics sont qualifiés, dans notre jargon familial, tribal et régional, de « bravoure », de « courage » et même de « témérité » par les parents et proches de leurs auteurs…

Le vol, une activité lucrative

Les voleurs de ce pays sont tous des mauritaniens. Ils se divisent en deux catégories très distinctes. Les petits voleurs, ces délinquants nés de parents pauvres, le plus souvent ces mendiants qui tendent la main aux feux rouges ; et les autres, les grands voleurs, au volant de bolides qui montent les vitres de leur véhicule quand les parents des petits voleurs leur demandent l’aumône.

Pourtant le vol, qu’il soit commis par le petit fumeur de joints de Haye Tarhil, Dar Naïm, Mellah, Kouve… ou par le patron de Tevragh-Zeïna, reste un vol. C’est une infraction définie par le Code pénal comme « la soustraction frauduleuse d’une chose intentionnellement ». Ce qui importe, en Droit, c’est la qualification des faits, l’acte lui-même. Le voleur, qu’il soit donc petit délinquant fumeur de joints ou grand homme d’affaires qui se parfume au Georges Armani, reste après tout un voleur.

Si les petits voleurs (de couleur noire le plus souvent) sont très actifs la nuit dans les ruelles sombres et étroites de leurs quartiers pauvres, les autres, les grands, (de couleur blanche le plus souvent), sont très actifs sous les lumières incandescentes de leurs bureaux climatisés.

Si le petit voleur derrière lequel courent les agents de Misgharou commet son délit pour se payer son joint ou son comprimé d’Ecstasy, le grand voleur derrière lequel personne ne court, lui, commet son forfait pour se payer un véhicule haut de gamme, un appartement ici ou à l’étranger, pour renflouer son compte libellé en monnaie convertible dans une banque de « recel des biens publics » ou parfois simplement pour se distinguer par une richesse spontanée, histoire de se mesurer à ses cousins.

C’est pourquoi certains qui étaient des petits vendeurs à la criée ont, en un tour et deux mouvements, surclassé des hommes d’affaires qui ont bâti leur fortune sur un demi-siècle d’activités commerciales honnêtes et se classent maintenant en première ligne sur les pages jaunes de l’annuaire du business de la fraude.

La seule différence, entre les petits voleurs des quartiers pauvres et les grands voleurs des quartiers riches, c’est que les premiers (les petits voleurs de la périphérie) une fois arrêtés, sont toujours montrés face aux murs et menottés et, quand ils sont déférés, exhibés à l’arrière d’une Toyota pick-up cabossée pour les humilier publiquement.

Par contre, les autres (les grands voleurs) ne sont jamais montrés menottés et parfois même se rendent au tribunal à bord de leur propre véhicule quand ils sont déférés, ils entrent au palais par voies dérobées, ce qui évidemment constitue une injustice flagrante commise par la police judiciaire pour laquelle logiquement un voleur doit être considéré comme personne en conflit avec la loi et par conséquence traitée sans distinction de race, de couleur, d’appartenance tribale ou régionale.

Décorticage du « décorticage » d’un conflit avec la loi

Ils sont donc onze. Onze présumés auteurs de crimes ou de délits économiques et financiers. Le plus important, celui qui constitue le noyau central du scandale du siècle, est Ould Abdel Aziz. Mohamed Ould Abdel Aziz, président des pauvres de 2008 à2019, sera donc comme les autres coaccusés appelé à la barre. Parce que, simplement, c’est avant tout un mauritanien qui n’est pas au-dessus de la loi et parce que des preuves d’une enquête très longue et très approfondie l’ont enfoncé dans un conflit compliqué avec la loi de son pays.

Ould Abdel Aziz n’est évidemment pas un petit voleur des ruelles sombres des quartiers précaires. Il n’est pas non plus un grand voleur des quartiers huppés de Nouakchott. Son statut est un peu particulier. C’est un ancien chef d’État qui crie à l’innocent, ce qu’il est effectivement, tant que sa culpabilité n’est pas établie.

Ould Abdel Aziz, un accusé très sûr de lui

Il est sûr de lui, parce qu’une fois, il avait dit publiquement, face à des journalistes de tous bords d’un plateau varié (télévisions, radio, journaux et sites) : « oui, je suis effectivement riche. Mais, je n’ai jamais pris ni une ouguiya aux caisses du Trésor public, ni un seul dollar des caveaux de la Banque centrale de Mauritanie ».

Et même il avait ajouté : « je mets en défi quiconque de prouver le contraire. Je mets même en défi l’actuel Président (qui connaît l’origine de tous mes biens), ses ministres, ses politiciens, ses chefs coutumiers ou religieux et leurs troubadours. Si l’un d’eux peut me donner la moindre preuve que j’ai détourné de l’argent du Trésor public ou des devises de la Banque centrale, ou que j’ai été corrompu par qui que ce soit, je mets ma tête à couper et je la coupe moi-même ».

Une sortie orale qui avait soulevé un tonnerre d’applaudissements de la part de ses supporters dont le nombre d’ailleurs ne cesse de diminuer depuis. Mais, malheureusement pour mon ami Aziz, depuis le déclenchement de cette affaire dont il est (d’après tous les rapprochements judiciaires effectués) le noyau, le pivot central et le maître d’œuvre des tenants et aboutissants, les preuves contre lui s’accumulent.

Et surtout, malheureusement pour lui, l’actuel chef de l’État qui, selon lui (Ould Abdel Aziz l’accusé), connaît « l’origine de tous ses biens » ne peut pas lui servir de témoin à décharge. Lui, (Ould Ghazwani) a déclaré publiquement qu’en aucun cas « il n’interférera dans cette affaire qui est une affaire de justice, une justice indépendante qui doit, comme dans toutes les démocraties du Monde, faire librement son travail ».

Ce qui signifie peut-être donc qu’Ould Ghazwani n’agira pas comme ce président de la Guinée (Conakry) dont un ami (homme d’affaires) avait été déféré par la justice, lors d’une enquête sur une affaire de corruption et de blanchiment d’argent justement.

Quand le président guinéen avait appris que son ami, ledit homme d’affaires, avait été déféré à la prison centrale de Conakry, celui-là était sorti de son bureau furieux pour aller lui-même taper à la porte de la prison. Quand les gardes avaient ouvert la porte, il était entré puis avait pris son ami par la main et l’avait ramené à son domicile dans le véhicule de la Présidence.

Juste pour la petite anecdote. Donc, pour une cohésion dans les idées, je crois pouvoir dire que j’ai bien peur que le président Ghazwani ne puisse être d’aucune utilité pour le prévenu qui avait rompu unilatéralement les très profondes relations d’amitié entre les deux hommes quand, selon une information encore non-officielle, l’ex-président avait commandité l’assassinat du nouveau président.

Quand un ex-président fait la manche pour trouver des témoins à décharge

Il reste maintenant pour mon ami Aziz de rechercher ailleurs des témoins à décharge dont il aura sérieusement besoin pour réduire la peine qui l’attend, au vu des charges retenues contre lui. Des témoins, il n’en trouvera certainement pas. Dans ce pays – et il est très bien placé pour le savoir – quand un chef d’État quitte le pouvoir, quelle qu’en soit la raison, il finit souvent comme Jean Bédel Bokassa.

L’empereur avait fini ses jours terrassé par un cancer de la prostate. Personne ne s’occupait plus de lui ce qui l’obligeait à envoyer sa femme au Palais pour demander à celui qui l’avait renversé de lui envoyer de quoi payer ses ordonnances. Ma radeït’hé elikoum.

Ce qui est sûr, c’est qu’il ne peut compter ni sur Taleb Ould Abdi Vall (ancien ministre), ni sur Yahya Ould Hademine (ancien Premier ministre), ni sur Hacena Ould Ely(celui qui lui obéissait aveuglément), ni sur Mohamed Salem Ould Béchir (qu’il avait obligé de faire ce qu’il refusait de faire), ni sur Mohamed Abdallahi Ould Oudâa, ni sur Moctar Ould Ndjiay, ni sur Bahaye Ould Ghadda (un homme d’affaires qui était déjà très riche avant l’arrivée d’Aziz au pouvoir) ni sur Mohamed Salem Ould Brahim qui était plus préoccupé par son propre enrochement illicite illimité que par celui d’Aziz.

D’abord, parce que c’est le sauve-qui-peut et le branle-bas et, ensuite, parce que si certaines de ces personnalités se débattent maintenant dans des difficultés judiciaires inextricables, c’est parce que c’est lui, Ould Abdel Aziz, qui les a tous enfoncés dans ces crimes et délits pour son intérêt personnel, en abusant de son pouvoir autocratique.

Maintenant reste à (Aziz) celui qui n’a jamais « pris ni une ouguiya dans les caisses du Trésor public, ni un seul dollar dans les caveaux de la Banque centrale de Mauritanie » de prouver « min eyne lehou hadha » c’est-à-dire les trente milliards de dollars, les quatre-vingt-quatre véhicules de toutes marques et tous types confondus parqués dans un entrepôt, les quatre cent soixante-huit lots de terrains dans des zones à spéculation foncière élevée, les dix-sept maisons acquises, les six cents têtes de camelins, les 4.655.941.533 d’ouguiyas domiciliés dans divers comptes bancaires de la place, les 6.996.223.924 récupérés qui étaient confiés à des particuliers, des hommes d’affaires et autres.

Et ce n’est pas tout. Il doit expliquer également ce qu’un chef d’État a à faire à la tête d’une usine de production d’eau minérale ? Ce qu’un Chef d’État a à voir avec la gestion des vingt stations d’essence de l’hydro24 ? Pourquoi était-il un exploitant rizicole dans la Vallée cumulativement avec ses fonctions de Chef d’État ? Et ce qui peut lier financièrement et économiquement un Chef d’État avec une entreprise étrangère comme Kalpataru ?

J’ai comme l’impression que Mohamed Ould Abdel Aziz, qui cherchait à se protéger par le gilet pare-balle de l’article 93 de la Constitution, risque d’être atteint dans le mille par l’article 169 du Code pénal pour des chefs d’accusation qui vont donner du fer à retordre à mon ainé maître Ichidou et sa poupée angélique du Liban. (À suivre)

Mohamed Chighali
Journaliste indépendant