
La Banque de Développement Shelter Afrique (ShafDB) et la Banque Mauritanienne de l’Investissement (BMI) ont annoncé le 24 juin 2025 un financement de 15 millions de dollars destiné à soutenir la construction de logements dits « abordables » en Mauritanie. Si l’initiative peut sembler porteuse d’espoir dans un pays confronté à un déficit chronique de logements, plusieurs signaux invitent à la prudence, voire à la critique.
Une goutte d’eau face à un déficit structurel
Avec 1 000 logements prévus à Zoueratt et la viabilisation de 1 000 parcelles à Tevragh Zeina, le projet reste très en deçà des besoins réels d’un pays où le déficit en logements dépasse les 50 000 unités. La dimension modeste de ce financement, comparée à l’ampleur du problème, soulève la question de l’impact réel de cette initiative sur la crise de l’habitat, qui touche en priorité les ménages pauvres et les populations rurales marginalisées.
L’accent mis sur Tevragh Zeina, l’un des quartiers les plus chers de Nouakchott, renforce le sentiment que ce programme ne vise pas les plus démunis, mais plutôt une classe moyenne ou aisée, voire la diaspora, au détriment des véritables oubliés du logement social.
BMI : un acteur controversé pour un enjeu social majeur
La Banque Mauritanienne de l’Investissement (BMI) est au cœur de ce partenariat. Or, cette institution traîne une réputation mitigée dans l’opinion publique. Loin d’être un champion de l’inclusion financière, la BMI est souvent perçue comme une banque élitiste, concentrée sur des services destinés aux entreprises et aux clients fortunés.
Cette image est d’autant plus fragilisée par les dysfonctionnements récurrents de son application de mobile banking, Sedad, censée faciliter l’accès aux services financiers pour un plus grand nombre de citoyens. De nombreux usagers dénoncent en effet des pannes régulières, des difficultés d’accès aux comptes, des opérations non abouties et un service client inefficace, ce qui mine la confiance dans la capacité réelle de la BMI à porter un projet à vocation sociale comme celui-ci.
Si la banque n’est pas en mesure de garantir un service digital de base fonctionnel à ses clients, comment peut-elle prétendre gérer efficacement un projet aussi stratégique que l’accès au logement pour les populations à faibles revenus ?
Des logements « abordables » ... pour qui ?
Le flou autour de la définition du terme « logement abordable » laisse planer un doute sur la cible réelle du projet. En Mauritanie, où une large majorité de la population survit avec moins de 2 dollars par jour, l’accès au crédit reste un mirage. Les ménages les plus précaires, notamment ceux des quartiers informels et des zones reculées, risquent de rester exclus de ce programme qui pourrait, in fine, profiter essentiellement à une minorité solvable.
La question de l’auto-construction ou de l’acquisition directe évoquée dans l’annonce, sans mécanismes clairs de subvention ou de plafonnement des prix, renforce ce sentiment d’une opération davantage tournée vers les classes moyennes et les investisseurs que vers les populations vulnérables.
Une réponse inadaptée au défi urbain et social
Alors que l’urbanisation de la Mauritanie progresse à un rythme rapide de 4% par an, la multiplication des projets isolés, sans politique publique cohérente ni régulation forte, risque de nourrir la spéculation foncière au lieu de la combattre. Le projet ne s’accompagne ni d’un plan d’amélioration des infrastructures urbaines, ni d’une réflexion sur la mixité sociale ou la durabilité environnementale.
Pire encore, sans une réforme en profondeur de l'accès au crédit et des services bancaires — ce que les défaillances de l'application Sedad illustrent tragiquement — les couches les plus modestes resteront, une fois de plus, sur le carreau.
Un projet vitrine qui risque de manquer sa cible
Si le partenariat Shelter Afrique – BMI se veut un symbole de progrès et de lutte contre le mal-logement, il semble pour l’instant s’inscrire davantage dans une logique de communication institutionnelle que dans une véritable stratégie sociale inclusive.
La Mauritanie a besoin d’une politique nationale ambitieuse de logement social, articulée autour de mécanismes solides de financement adapté, de contrôle des prix, de planification urbaine et d’inclusion des populations les plus fragiles. Tant que les acteurs bancaires comme la BMI continueront à cumuler déficits de crédibilité numérique, manque de transparence et orientation élitiste, ces projets risquent de creuser les inégalités plutôt que de les réduire.