AEP de Kiffa : 320 millions de dollars, un marché verrouillé malgré des promesses ambitieuses | Mauriweb

AEP de Kiffa : 320 millions de dollars, un marché verrouillé malgré des promesses ambitieuses

lun, 11/08/2025 - 18:58

Le 15 juillet 2022, à Nouakchott, le PDG du Fonds Saoudien pour le Développement (SFD), Sultan bin Abdulrahman Al-Marshad, et le ministre mauritanien des Affaires économiques, Ousmane Mamoudou Kane, ont signé un accord de 100 millions de dollars pour financer la première phase du projet d’Alimentation en Eau Potable (AEP) de Kiffa à partir du fleuve Sénégal.

Ce financement, fruit d’une réunion des bailleurs du Groupe de Coordination Arabe tenue à Riyad en mars 2022, est présenté comme une avancée majeure pour la sécurité hydrique des régions du Guidimakha et de l’Assaba :

  • 250 km de réseau
  • 90 villages desservis
  • Plus de 20 % de la population mauritanienne concernée
  • Objectifs : réduire les maladies liées à l’eau, sécuriser l’accès à une eau potable et soutenir le développement socio-économique.

Le coût total du projet est estimé à 317 millions de dollars, financé en partie par d’autres bailleurs, dont l’OPEC Fund.

 Un geste diplomatique et des inaugurations tous azimuts

Lors de la cérémonie, en présence de l’ambassadeur d’Arabie Saoudite à Nouakchott, Mohammed Ibn Ayed Al-Balawi, le ministre Ousmane Mamoudou Kane a salué “le rôle majeur de l’Arabie Saoudite dans le développement et l’amélioration des infrastructures en Mauritanie”.

En marge de la signature, la délégation saoudienne avait inauguré trois autres projets financés par le SFD :

  1. Réseau de distribution d’eau de Nouakchott – 208 km de conduites, 20 000 foyers desservis, 25,33 M USD.
  2. Centre de dialyse de Nouakchott – 16 unités, 10 M USD (don saoudien).
  3. Nouveau campus universitaire de Nouakchott – 30 M USD, avec mosquée universitaire et résidences.

 Une procédure d’attribution verrouillée

Derrière les discours officiels, la réalité est bien moins reluisante. Le marché des deux premiers lots du projet Kiffa – incluant la station de traitement, cœur du dispositif – a été taillé sur mesure pour des entreprises prédésignées :

  • Obligation d’être société saoudienne.
  • Critères techniques restrictifs.
  • Élimination de plus de 80 % des entreprises ayant retiré le dossier d’appel d’offres.

Les critères de qualification sont tels que seules 5 entreprises sur les 42 ayant acheté le dossiers d’appel d’offre ont pu déposer. Les entreprises finalistes, selon le procès-verbal, sont :

  • Saudi Services for Electro Mechanical Works (SSEM)
  • Al Rashid Trading & Contracting Co. (RTCC)
  • Abdullah Al Barrak & Sons Co.
  • Al Mashrik Co.
  • Haif Co.

 L’additif n°3 : le “dessalement d’eau de mer” comme clé d’entrée

Le 20 décembre 2024, à seulement quatre jours de la date limite, un additif est publié :

  • Inclusion du “dessalement d’eau de mer” dans les références acceptées pour les stations de traitement d’eau de surface.
  • Prolongation floue du délai (“Décembre 2024” sans jour précis), alors que la date réelle publiée par l’ARMP est bien 20 décembre.

Cet ajustement de dernière minute, taillé pour les compétences des entreprises saoudiennes, a verrouillé le marché et neutralisé toute concurrence extérieure.

 Un schéma déjà vu

Les mécanismes observés sur Kiffa rappellent les précédents échecs financés par des bailleurs, y compris le FSD :

  • Aftout Essahil à Nouakchott : pénuries malgré un investissement de plus de 200 M USD.
  • Projet Dhar : infrastructures inachevées dans les deux Hodhs.
  • AEP de Nouadhibou : toujours hypothétique.

 La façade et l’arrière-boutique

Officiellement, le projet de Kiffa est une vitrine de la coopération mauritano-saoudienne. En coulisses, il illustre le système bien rodé des marchés publics verrouillés avec à la barre le triumvirat : Mohamed Ould Jeddou, coordinateur du projet, fer de lance des manœuvres, Amal Mint Maouloud, ministre de l’Hydraulique, pointée comme la cheville ouvrière politique du montage, Moustapha Ould Sidahmed, président de la commission de passation des marchés, garant du verrouillage administratif et sur le strapontin ECG (bureau égyptien), choisi malgré le critère de nationalité du bailleur.

 

Le SFD revendique plus de 53 projets financés en Mauritanie, pour un montant dépassant 800 millions USD. Mais à l’image de l’AEP de Kiffa, la question reste entière : ces projets servent-ils d’abord à assurer l’eau et le bien être aux populations ou à alimenter un cercle restreint de bénéficiaires au sommet de l’État ?

B.C.