
La Présidence de la République a annoncé, lundi soir, un remaniement partiel de grande ampleur, touchant onze portefeuilles ministériels. Loin d’être un simple ajustement technique, cette recomposition traduit à la fois un souci d’équilibre politique et tribal, et une volonté de repositionner les priorités gouvernementales à l’approche d’étapes électorales sensibles.
Les sortants : un cycle écourté pour plusieurs ministres
Cinq ministres quittent l’équipe de l’exécutif, parfois après un passage éclair.
Le départ le plus remarqué est celui de Mohamed Mahmoud Ould Boyé, ministre de la Justice depuis 2020, qui semblait avoir consolidé sa position au fil des années. Son éviction sonne comme une rupture nette dans un secteur où il commençait à « prendre racine ».
Trois autres ministres, Abdallah Ould Weddih (Santé), Momma Ould Beibatta (Agriculture) et Mokhtar Gaga (Élevage), nommés en août 2024, n’auront guère eu le temps d’imprimer leur marque. Leur éviction, un an seulement après leur arrivée, traduit l’impatience du pouvoir face à des résultats jugés insuffisants dans des secteurs stratégiques pour le quotidien des Mauritaniens.
Enfin, Sidi Yahya Ould Lemrabott quitte les Affaires islamiques. Son passage aura été marqué par des polémiques, notamment l’affaire des pèlerinages financés pour des proches, qui avait terni l’image de son département.
Ce renouvellement brutal s’apparente donc à une correction de tir dans des domaines aussi sensibles que la santé, l’agriculture et l’élevage, au moment où le pays fait face à de fortes tensions sociales et à des déficits structurels persistants.
Les entrants : retours remarqués et repositionnements stratégiques
Parmi les onze nominations, plusieurs retours témoignent d’une volonté d’ancrer le gouvernement dans l’expérience, tout en redistribuant les équilibres internes.
Mohamed Ould Soueidatt prend les rênes de la Justice, symbole d’une volonté de rupture avec l’ère Ould Boyé.
Aux Affaires islamiques, El Vadil Ould Sidaty hérite d’un portefeuille toujours sensible, où se joue une partie de l’équilibre religieux du pays.
Le retour en grâce d’Abdellahi Souleymane Cheikh Sidiya, figure politique de Boutilimitt, est l’un des faits marquants. Tiré de sa retraite, il reprend le ministère des Affaires économiques et du développement (MAED), mais un MAED désormais amputé de l’Agence pour la Promotion des Investissements (APIM), signe d’un recentrage stratégique du gouvernement.
Aux Finances, c’est Codioro Moussa N’Guenore qui prend les commandes. Le couple « Économie-Finances » est une nouvelle fois séparé, une alternance qui illustre les hésitations récurrentes de la gouvernance mauritanienne entre fusion et découplage des deux portefeuilles.
Le ministère de la Santé, hautement exposé, est confié à Mohamed Mahmoud Ely Mahmoud, qui hérite d’un secteur constamment sous pression.
Mariem Boidiel, fille de l’ancien président de l’Assemblée nationale, prend la tête de la Fonction publique et du Travail. Une nomination hautement symbolique qui traduit la montée en visibilité des haratines au sein de l’appareil d’État.
La Pêche et les Infrastructures maritimes passent sous la responsabilité de Moctar Ahmed Bouceif, à la tête d’un secteur stratégique pour les finances publiques et les exportations.
Sidi Ahmed Ould Bouh et Sidi Ahmed Ould Mohamed héritent respectivement de l’Agriculture et de l’Élevage, deux ministères clés pour la sécurité alimentaire et la stabilité sociale.
Mamoudou Mamadou Niang est nommé aux Domaines et à la Réforme foncière, un portefeuille éminemment sensible à l’heure où les conflits liés à la terre se multiplient.
Enfin, le retour de Naha Hamdi Ould Mouknass à l’Habitat et à l’Urbanisme a valeur de victoire politique : la cheffe du parti UDP, forte d’une dizaine de députés, confirme son influence au sein de la majorité et impose sa marque dans les arbitrages gouvernementaux.
Les clés de lecture : équilibres tribaux, place des femmes et montée des haratines
Ce remaniement obéit clairement à la logique traditionnelle des équilibres tribaux, régionaux et ethniques. Chaque départ a été compensé de manière à préserver la fragile arithmétique du pouvoir.
La place des femmes est renforcée avec désormais neuf ministres féminins, un record qui permet à la Mauritanie de soigner son image internationale en matière d’inclusion et de modernité.
Les haratines consolident aussi leur présence. Avec Mariem Boidiel et le retour de Sidi Mohamed Ould Mohamed, leur représentation passe de trois à quatre ministres. Une évolution significative dans un pays encore marqué par les débats sur l’égalité et l’inclusion des anciennes communautés serviles.
Enjeux et perspectives : un test grandeur nature
Ce remaniement apparaît comme :
Une reprise en main du président Mohamed Ould Ghazouani et de son Premier ministre, face à des ministres jugés faibles ou trop exposés.
Un recalibrage politique en vue de l’après-2025, avec un exécutif recomposé pour mieux affronter les défis électoraux à venir.
Un signal à la majorité parlementaire, où certains barons comme Naha Ould Mouknass voient leur influence confirmée.
Mais une interrogation demeure : cette équipe, composée à la fois de figures expérimentées et de nouveaux visages, saura-t-elle répondre aux urgences sociales, économiques et foncières qui continuent de miner le quotidien des Mauritaniens ?
La stabilité politique semble, pour l’instant, préservée. Mais la réussite de ce « gouvernement nouvelle formule » se mesurera très vite à l’épreuve du terrain, dans un contexte de crispations sociales et de grandes attentes populaires.