
La Commission de la Cédéao et la Mauritanie se sont félicitées, le 14 novembre dernier à Nouakchott, de la finalisation d’un mémorandum d’entente destiné à « harmoniser » les statistiques en Afrique de l’Ouest et du Centre. À lire le communiqué, l’accord s’inscrit dans le cadre du projet HISWACA, financé par la Banque mondiale, et prévoit assistance technique, partage d’expériences et participation de la Mauritanie aux initiatives régionales.
Dit autrement : la Mauritanie vient d’admettre qu’elle ne maîtrise plus sa propre production statistique.
Un pays sans chiffres fiables : le secret le moins bien gardé de Nouakchott
Depuis des années, les partenaires techniques et financiers pointent un problème fondamental : l’État mauritanien ne sait pas compter, ou plutôt, il compte mal, peu, irrégulièrement — et parfois politiquement.
Les chiffres de population se contredisent d’un ministère à l’autre. Les données sur la pauvreté reposent sur des enquêtes décennales. Les indicateurs agricoles sont transmis à la main, souvent postérieurs aux décisions déjà prises. Les statistiques des pêches, secteur vital, changent selon le rapporteur, l’interlocuteur ou le moment politique.
Il n’est donc pas surprenant que la Cédéao propose aujourd’hui une « harmonisation ». Ce qu’elle n’écrit pas, mais que tout le monde comprend : la Mauritanie est la chaîne la plus faible du dispositif régional de production statistique.
Un protocole… sans signature, mais déjà célébré
Fait intrigant : Le protocole a été « finalisé », « approuvé », « validé » … mais pas signé. Il faudra attendre une date ultérieure, à annoncer « prochainement ». Dans le langage feutré des institutions, cela signifie généralement : que Nouakchott hésite, que le gouvernement veut mesurer le coût politique, et que la Cédéao patiente, tout en publiant un communiqué positif pour maintenir la pression diplomatique.
Pour un accord qui n’engage pourtant que de la formation, de l’assistance technique et des ateliers méthodologiques, ce délai interroge.
Un ballet diplomatique qui dit plus que le communiqué
Durant sa mission, le Dr Kalilou Sylla, commissaire de la Cédéao, a rencontré un panel entier de partenaires :
ANSADE, notre agence statistique nationale ; le ministère des Affaires économiques ; la FAO ; l’Union européenne ; la Banque mondiale.
Ce défilé en dit long sur les attentes — et sur les inquiétudes. Car l’harmonisation statistique n’est pas un exercice technique : c’est un acte de transparence.
Or, sur plusieurs dossiers sensibles — pauvreté, sécurité alimentaire, emploi des jeunes, pêche artisanale, mines, gestion foncière — une production statistique plus rigoureuse risquerait d’exposer des réalités souvent atténuées dans les rapports officiels.
Autrement dit : mieux compter, c’est aussi révéler ce qu’on préférait cacher.
Ce que la Mauritanie gagne — et ce qu’elle redoute
Ce que le gouvernement gagne : l’accès à un réseau régional de méthodes standardisées ; un appui technique financé par la Banque mondiale ; la possibilité d’améliorer ses indicateurs macroéconomiques auprès des bailleurs.
Ce qu’il redoute : la perte de contrôle politique sur les chiffres sensibles, l’obligation d’aligner les statistiques sur les normes internationales, la fin des estimations « flexibles » qui permettent d’ajuster les discours.
Ce protocole, s’il est signé un jour, imposera une rigueur nouvelle.
Et cette rigueur aura des conséquences : sur la politique sociale, sur la transparence budgétaire, sur la communication gouvernementale.
Un accord technique, un enjeu éminemment politique
Sous son vernis technocratique, l’accord Cédéao–Mauritanie est en réalité une épreuve de crédibilité : La Mauritanie accepte-t-elle d’ouvrir ses registres, ses enquêtes, ses bases de données ? Est-elle prête à ce que des indicateurs fiables révèlent les écarts entre discours et réalité ? Souhaite-t-elle réellement intégrer un système régional où la comparaison devient inévitable ?
Les statistiques ne sont jamais neutres. Elles disent ce que le pays veut — ou ne veut pas — montrer.
L’harmonisation annoncée est donc moins un chantier de données qu’un test de volonté politique.
Pour l’instant, la Mauritanie semble prudente.
Trop prudente.

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